Je n’étais pas l’avocat de Denis Waxin en première instance, mais j’ai été commis d’office pour le défendre en appel, devant la Cour d’Assises du Pas-de-Calais, lors de ses deux procès successifs (il était mineur lors de son premier crime, donc d’abord jugé par la Cour d’Assises des mineurs, puis celle des majeurs pour les autres) qui ont eu lieu en novembre 2003 – trois semaines au total ont été nécessaires.
La défense de cet homme et cette audience ont été extrêmement marquantes pour tous ceux qui y ont participé, et cette affaire demeure l’un des procès au cours duquel j’ai le plus souffert, mais aussi où je me suis senti le plus “avocat” – en terminant d’ailleurs pas une plaidoirie totalement hors de tout, que je n’ai jamais réussi à terminer…
En dehors de la personnalité hors-normes de Denis Waxin, il y a eu, pendant toutes les lourdes journées de ces deux audiences terribles, l’immense dignité des parties civiles, qu’il s’agisse des familles endeuillées, souvent depuis longtemps, des victimes, ou de leurs avocats, mes confrères – je me souviens de vous tous, notamment toi Muriel qui m’a pris dans tes bras tout à la fin, Julien, devenu depuis mon ami…
Il y avait aussi à cette audience, en charge de l’accusation, celui qui était alors le Procureur de Saint-Omer, Monsieur l’Avocat Général Eric Maurel – marqué lui aussi par ce procès et qui en parle dans son livre “Paroles de procureur“. Pour le dire sobrement, il n’a pas ménagé le jeune avocat que j’étais, porter l’accusation dans cette affaire n’autorisait pas cela ; mais Denis Waxin a voulu lui serrer la main, après le verdict ; et entre nous est né je crois à cette audience un respect mutuel qui ne s’est plus jamais démenti.
Et elle était présidée par (je peux le dire sans forfanterie maintenant, je pense…) l’une des plus grande présidente d’Assises qu’il m’ait été donné de rencontrer, Madame Catherine Schneider.
Je me souviens avec un sourire, dans ce procès, de la fougue avec laquelle elle m’a “défendu” publiquement auprès de Denis Waxin lorsque, soudain, au tout début, il s’était plaint d’avoir un avocat commis d’office…
Et je salue l’humanité avec laquelle elle a mené ce procès – cette même humanité qui a notamment permis, lors d’une demi-journée que personne n’oubliera jamais, que Denis Waxin parle, et raconte, tout, enfin – durement, mais de façon indispensable, donnant un sens énorme à cette audience d’appel écrasante ; cette même humanité qui a fait qu’au beau milieu de ma plaidoirie, Denis fonde en larme et que le procès s’achève par le jugement d’un homme – condamné à perpétuité avec non plus 30 mais 29 ans de période de sûreté, un symbole, mais celui d’une lueur lointaine, d’un minuscule espoir…
J’ai plaidé maintes fois devant elle par la suite (avec plus ou moins de succès…), et cela a toujours été au cours d’audiences exemplaires. Quelles que soient vos fonctions ou activités actuelles, j’espère qu’elles vous habitent avec autant de bonheur, Madame.

Il y a eu énormément d’articles de presse autour de cette affaire et pendant le procès – je les ai tous gardés au format papier, mais presque aucun n’a résisté au temps sur Internet. L’on m’a demandé une fois de raconter “à la volée” un souvenir marquant d’audience criminelle, vous trouverez ce récit-là ci-dessous ; et puis il y a eu un Faites entrer l’accusé consacré à cette affaire, où tous les protagonistes et notamment les magistrats précités ont pu s’exprimer : je joins également ce reportage.
“Faites entrer l’accusé : Denis Waxin, le Prédateur.”
21 avril 2009, France Deux.
“Il avoue les meurtres. Tout le monde pleure : les jurés, les huissiers, moi…”
Article paru sur le site L’Obs > Rue89 dans la rubrique Un avocat, un client, le 11 avril 2013. Propos recueillis par Clément Martel.
Jean-Yves Moyart, avocat pénaliste (ou « pénaleux » comme il aime s’appeler) au barreau de Lille est mieux connu des internautes sous un autre nom : celui de Maître Mô.C’est sous ce pseudonyme qu’il signe ses billets de blog, manière pour lui de raconter son quotidien, mais aussi de rendre la justice plus accessible au public. Son témoignage poursuit une série publiée par Rue89, en partenariat avec l’Ecole supérieure de journalisme de Lille (ESJ). Chaque avocat interrogé raconte un souvenir qui a marqué sa carrière.

Denis Waxin a le même âge que moi. Il a travaillé chez Auchan, à Villeneuve-d’Ascq, où j’ai été employé pendant mes études de droit. Lui à la pompe, moi aux produits frais.
En 2003, devenu avocat, je me retrouve commis d’office pour le défendre, entre sa condamnation en première instance et l’audience d’appel. Je ne savais rien de l’affaire, mais son nom ne m’était pas inconnu, car son histoire avait fait du bruit : il a tué et violé six enfants, sur une période de quinze ans.
Denis n’a rien exprimé jusque-là. En première instance, son avocat n’a jamais réussi à communiquer avec lui.
Premier entretien, pas un mot.
Je l’ai rencontré une dizaine de fois en détention. Chaque fois, le GIPN était là pour le surveiller (c’est un psychopathe diagnostiqué comme tel).
Premier entretien, pas un mot. Pour un avocat, c’est difficile : le dossier ne fait qu’égrener la liste des crimes atroces, tous commis par lui ou lui étant très sérieusement attribués. On est aux limites de l’humanité.
Mais on a le même âge, on a vécu à quelques kilomètres de distance avec des expériences proches… Le parallélisme de nos situations va me servir, à partir du deuxième entretien. On fume tous les deux des Camel, et je lui en fais passer.
Le chef de la surveillance comprend que j’essaye d’obtenir un contact. Il accepte qu’on me surveille de loin, pour que je fume avec mon client dans un local où c’est en principe interdit.
Grâce à Auchan, on réussit à communiquer. Je lui dis qu’en sortant de ma mise en rayon, j’ai sûrement dû faire le plein, et que le pompiste à l’époque, c’était lui.
Autant s’adresser à une planche…
C’est un type vraiment étrange. Il refuse d’aborder les faits et me fait un peu peur. Mais il est capable d’échanger un sourire avec son futur avocat quand il me voit arriver en appel, alors qu’il joue un peu sa vie (il a été condamné à perpétuité et trente ans de sûreté en première instance).
Il se dit innocent, mais comme un enfant pris la main dans le sac. Moi, je commence à être physiquement marqué, car j’ai affaire à un type aux limites de ce que nous sommes. J’ai maigri de onze kilos en quinze jours.
Arrive le procès. La – remarquable – présidente de la Cour d’appel de Saint-Omer a conscience que l’un des enjeux est qu’il parvienne à s’exprimer. Or, avec Denis Waxin, autant s’adresser à une planche.
Un jour, elle sent qu’il est au bord de parler. Moi aussi. Par signes, je demande une suspension, qu’elle m’accorde. C’est à Saint-Omer, il y a un petit couloir en bois, un peu à l’ancienne, entre les geôles et l’audience publique. Malgré les mesures de sécurité, les mecs du GIPN me laissent l’approcher et fumer avec lui, sentant peut-être que c’est le seul moyen d’entretenir un lien avec ce garçon. Mais on ne se dit presque rien au cours de la pause.
A son retour dans le box, il raconte tout. Tous les crimes pour lesquels il est poursuivi. Il en raconte même deux autres. Sans émotion apparente, comme un légiste décrirait un corps. Et sans un bruit dans la salle. Ça prend une demi-journée.
On m’avait dit que j’allais rencontrer un monstre…
Je sais très bien que personne, pas même moi, ne peut vouloir libérer cet homme, et que la peine sera majeure. Mais c’était important pour tout le monde – lui inclus – qu’il dise ce qui s’était passé.
De ma plaidoirie, je me souviens uniquement du début et de la fin. « On m’avait dit que j’allais rencontrer un monstre et j’ai rencontré un homme », ça commence comme ça et ça donne la tonalité. Je voulais dire aux gens à quel point il était revenu vers l’humanité.
Au bout d’un moment, on entend une espèce de gros ramdam de gamin qui pleure : ses cheveux sur le micro de la Cour d’assises, il chiale à grandes eaux. « Euh, euh, euh, pardon… » Ça résonne dans la Cour. Jamais il n’a exprimé un sentiment pareil. A ce moment, quelque chose a craqué en lui, qui le faisait définitivement redevenir un homme, voire un enfant.
Personne ne s’est moqué de lui, personne n’a sifflé, les victimes ont été remarquables. Je m’arrête net, je le regarde, et je trouve que tout est dit. Donc j’arrête de plaider et je pleure, ce qui n’arrive pas tous les jours aux assises. Il y a un grand silence, et tout le monde chiale : les jurés, les huissiers, le GIPN… Tout le monde est conscient de l’instant qui ramène ce bonhomme parmi nous.
vous pourriez rajouter dans votre bio que vous tenez un blog…
Et puis aussi que votre nom fait penser à un fort qui apparait dans une émission de télévision !
Pour la bio c’est fait, mon ami ; pour l’émission télé, ça attendra un peu…