Interview originale parue sur Daily Nord dans la rubrique Réflexions le 8 septembre 2010 – Par Nicolas Montard .
DailyUne | Réflexions Par Nicolas Montard | 20H31 | 08 septembre 2010
J-Y. Moyart, avocat : « des monstres, il y en a peu »
Avocat pénaliste dans une grande ville de province. Allez, on vous fait le portrait robot : frimeur, beau parleur, plein aux as et surtout sans morale pour pouvoir défendre des assassins et des violeurs d’enfants. Logique. Dans la catégorie, on a trouvé Jean-Yves Moyart, un quadra du barreau lillois. Reconnu, estimé, mais pas non plus une star à la Dupond-Moretti ou Berton. On lui a donc demandé ce qu’il pensait de tout ces préjugés. Et de son métier en général. Interview (retrouvez également à la fin de l’interview sa réaction sur la récidive, revenue sur le devant de la scène avec le meurtre de la joggeuse marcquoise).

DailyNord : En 2009-2010, on a beaucoup parlé de récession économique. Pas chez les avocats quand même ?
Jean-Yves Moyart : Si, si, c’est vrai. On a moins d’affaires. Plus de gens qui hésitent à faire des procès. D’autres qui ont un peu moins de sous pour payer. Phénomène assez nouveau, on échelonne quelques paiements. 5 x 100 euros au lieu de 500 euros d’un coup…
DailyNord : Sans frais ?
Jean-Yves Moyart : Chez moi, oui ! Vraiment, il y a moins d’argent. Un dossier moyen, ça coûte 2 500 euros, du coup des gens hésitent. Et de l’autre côté, on a les banques qui durcissent le ton. Si j’ose dire, on est un peu entre le marteau et l’enclume. Et en plus, on doit encore rajouter la TVA à 19,6%. Oui, il paraît que les avocats sont des produits de luxe. Allez expliquer ça au client…”
5 à 6 000 euros par mois
DailyNord : Mais même avec la crise, avocat avec votre renommée à Lille, c’est plutôt grosse berline, maison dans banlieue cossue, salaire de rêve ?
Jean-Yves Moyart : Il y a eu une époque où j’ai bien gagné ma vie et où je me suis acheté ces choses-là ! Pendant les 10-12 premières années – c’est le temps qu’il faut pour se faire sa micro-réputation -, les affaires marchent bien, oui, j’ai très bien gagné ma vie. Maintenant, ça régresse. On subit comme tout le monde la baisse du pouvoir d’achat. Puis, en plus, avec l’expérience, on choisit un peu plus ses dossiers. Les revenus se « normalisent ». Mais je gagne bien ma vie : 5 à 6 000 euros par mois en général.
DailyNord : Pour combien d’heures de boulot ?
Jean-Yves Moyart : De 7h à 20h, tous les jours. Et maintenant, je ne fais plus les weeks-ends. Mais c’est normal, je suis arrivé à un stade où j’ai moins besoin d’aller chercher les clients. Ce qui n’empêche pas de faire attention : je compare notre profession à l’escalator. Si tu t’arrêtes, tu descends. Dans notre métier, c’est pareil, je ne peux pas me le permettre.
DailyNord : Avocat, c’est une vocation ?
Jean-Yves Moyart : Oui. Je voulais défendre la veuve et l’orpheline. J’avais également l’amour du verbe. Je voulais défendre la victime éplorée. Mais aussi le monstre abandonné de tous. Quant à mes débuts, c’était boulot tous les jours, même les week-ends. Je crois que pendant deux ans, je n’ai pris ni week-ends, ni vacances, je ne devais même pas savoir ce que je gagnais. Ça fait peut-être un peu vieux con, mais les temps changent : maintenant, les jeunes avocats pensent aussi à passer du bon temps en gagnant bien leur vie… Mais ce n’est pas criticable en soi, c’est juste un constat.
L’abruti qui prend le volant bourré ou le pédophile ?
DailyNord : Vous vouliez défendre le monstre abandonné de tous. On caricature, mais une partie de la population pense comme ça : un pédophile ou un assassin mérite-t-il qu’on le défende ?
Jean-Yves Moyart : Le procès classique. Je ne suis ni juge, ni procureur. Et j’ai même du mal à faire la hiérarchie entre les crimes. Ce que je veux dire c’est qu’au fond, je ne suis pas certain que le gros abruti qui prend son 4×4 rutilant à 180 kms/h, bourré, sur l’A1 et qui tue un gosse dans un accident soit plus ou moins méchant que le pédophile qui lui, lutte, depuis son plus jeune âge contre son état naturel. Des monstres, d’ailleurs, il y en a peu. J’ai plaidé des trucs assez lourds : la plupart des accusés sont des gens paumés. Des gens dépourvus d’humanité, il y a en peu finalement. Et j’en reviens à la hiérarchie : on sait que dans l’opinion publique, le tueur de flics, le violeur d’enfants sont jugés pires que le trafiquant de stups. Pourtant, vendre de l’héroïne… Comme le braqueur qui tire sur les gens dans la rue au risque de les tuer n’est pas moins criticable.
DailyNord : Ça veut dire que vous défendez tout le monde ?
Jean-Yves Moyart : Oui, quand on fait du pénal, on défend tout le monde. J’ai défendu un mec qui avait fait une ratonnade. Je peux défendre une association contre le racisme. J’estime qu’il y a du bon dans chacun. Et par exemple, Denis Waxin que j’ai défendu (l’homme a été condamné pour les meurtres et viols de plusieurs enfants, ndlr) n’est pour moi pas monstrueux. Mais malade psychothique.
DailyNord : Justement, quand vous défendez quelqu’un comme Denis Waxin, le regard des familles de victimes ne vous pèse pas ?
Jean-Yves Moyart : Il y a très peu d’agressions de juges ou d’avocats. Peut-être que le côté cérémonial, solennel, aide à ça. Mais chacun sait que c’est mon métier. Denis Waxin a violé et tué six victimes. Je n’ai vu aucune manifestation de haine envers moi. Les familles ont compris que cet homme doit être défendu. Ou plutôt assisté. Après, il ne faut pas commettre de dérapages : on n’est pas là pour encore plus massacrer l’autre. Nous ne sommes pas des juges.
Faire acquitter un coupable ?
DailyNord : En appel, à Nouméa, vous avez réussi à faire acquitter un homme reconnu coupable de meurtre auparavant. Dans ce cas, comme dans d’autres, vous êtes sûr de vous ? De ne pas avoir fait relâché des coupables dans la nature ?
Jean-Yves Moyart : Il pourrait y en avoir… Dans le cas de Nouméa, non, je suis persuadé de son innocence. En fait, dans ma façon de fonctionner, je souhaite d’abord que mon client me dise la vérité. Est-il coupable ou non ? C’est à nous d’établir un rapport de confiance pour qu’il nous dise cela. Je pense que c’est le mieux. Il faut l’amener à accepter cela, notamment dans les affaires de moeurs. Même si parfois, ça ne marche pas. J’ai le cas d’un père qui avait fait un enfant à sa fille. Tout l’accusait, dont l’ADN. Il a toujours nié. Je lui ai dit que je ne le suivrais pas dans cette voie-là et qu’il pouvait demander un autre avocat. Il a refusé. Il a continué à nier, mais au procès, je n’ai pas nié justement les évidences.
DailyNord : Comment réagit-on quand un client que l’on pense innocent est condamné ?
Jean-Yves Moyart : Je me souviens de mon premier retour d’assises à Douai. J’étais persuadé que le mec était innocent. Il a été condamné. En rentrant, j’ai vomi sur l’autoroute jusqu’à Lille. Alors quand j’ai un dossier sous la main et que je plaide, je n’oublie jamais qu’il est présumé innocent. Et que si le dossier ne le permet pas, le client ne doit pas être condamné. Il faut des preuves. Alors des coupables peuvent s’en sortir, mais au moins les innocents ne vont pas en prison, qui pour moi, ne sont que des zones de mouroir.
DailyNord : Et vous avez des clients qui après coup, vous avouent qu’ils sont coupables ?
Jean-Yves Moyart : Ça arrive. On se prend une sacrée claque. En fait, de toute façon, le tribunal, c’est le lieu du mensonge. C’est pour cela qu’il faut être attentif. Et surtout pas blasé : l’énième mec qui vient parce qu’il est accusé de viol, il ne faut pas le planter et s’occuper de son dossier par dessus la jambe. Au contraire, bien regarder ce qu’il y a dans le dossier. J’ai un client qui a été accusé de viol sur sa copine, après une première relation consentie. Il nie, il nie, il nie. Personne ne le croie. Pas de preuve. Jusqu’à ce qu’il consente à me dire que la webcam de son ordi était en marche. Il avait honte de le dire en garde à vue… Et la scène qui est donc sur DVD ne ressemble pas à un viol…
Jean-Yves Moyart, le braqueur à la banane
DailyNord : Dans un genre plus léger, on a une carte des faits-divers insolites sur DailyNord. Les bras cassés, les voleurs stupides… Quand on a plus de 40 ans et une petite renommée, on ne s’embarrasse plus de ces gens-là ?
Jean-Yves Moyart : Si, j’adore ! Je sors encore d’une affaire comme celle-ci. Ces affaires font appel à d’autres ressorts. Et souvent, je me dis que ça aurait pu être moi à un moment donné. J’ai une petite expérience personnelle sur le sujet : à 15 ans, avec un copain, on s’est décidé à faire une blague. Braquer une superette, cagoulés, avec des bananes en guise d’armes ! Pour nous, c’était une blague, on a été exclu de notre établissement scolaire, etc. Mais imaginez que le gérant de la superette ait eu une crise cardiaque. Le soir, on aurait dormi en prison. Imaginez que l’employée nous ait donné la caisse. On l’aurait peut-être prise. En fait, tout ça peut aller très vite. Alors, je vais faire du déterminisme social : si j’étais né ailleurs, peut-être que je serais dans le même box que les gens que je défends. Je suis un privilégié.
DailyNord : Donc, ce genre de petites affaires vous passionnent ?
Jean-Yves Moyart : Il y a deux jours, j’assistais à une audience avec un prévenu qui boit quatre litres de vodka par jour. Bref, je ne sais pas comment il tient debout, moi, je m’arrête avant. Mais il a frappé une caissière pour obtenir deux autres bouteilles. L’affaire n’était pas pour moi, j’étais jaloux. J’adore défendre ces gens qui n’ont pas les mots, qui n’ont pas eu l’éducation. C’est le fond de la misère. Et c’est à nous d’adoucir tout cela. Dans la ville, tu croises un clochard, tu ne t’arrêtes pas. Dans le tribunal, tu le défends, tu essaie d’aller vers le haut avec lui. C’est mon vrai métier.
Au pays des réprouvés de Dieu
DailyNord : Cela fait 18 ans que vous êtes au barreau de Lille. Quelle est l’évolution majeure selon vous dans les tribunaux ?
Jean-Yves Moyart : De plus en plus d’affaires de moeurs. Dues à la libération de la parole aussi. Des violeurs, des incestes, c’est 200 dossiers en cours rien que pour moi… Des histoires sordides, c’est le fond du monde, les réprouvés de Dieu, je les appelle. Un de mes premiers dossiers lourds, c’était une famille de 15 enfants. Le père buvait, les violait, il croyait que c’était légitime. Pour lui, ça faisait partie des choses à léguer à ses enfants… C’est pourtant tout sauf un monstre, on y revient. Et c’est souvent un phénomène de répétition. Dernièrement, le père et le fils sur deux petites cousines. On a appris que le fils avait subi ça du père… Dans ces familles, c’est déjà difficile… Alors, quand en plus il y a ça, les gamins ne sont vraiment pas bien partis dans la vie…
DailyNord : Quand on rentre le soir, on oublie tout ça ?
Jean-Yves Moyart : On le range dans un coin de la tête. Mais un bon avocat, dans 10 secondes, il doit pouvoir mettre sa robe et s’y remettre. Et je ne l’ai pas dit tout à l’heure, mais je pense qu’un bon avocat doit aussi aimer un peu l’accusé.. Car finalement, vous avez un impact énorme sur sa vie : selon votre plaidoirie, il se passe telle ou telle chose. .
DailyNord : C’est quoi les ambitions de Jean-Yves Moyart, maintenant ? Devenir un ténor du barreau médiatique ?
Jean-Yves Moyart : Continuer comme ça. Avec un peu plus de sous. En fait, les finances me cassent les noisettes. Je trouve que le client peut pâtir de cette situation. Quant au côté médiatique, je suis orgueilleux, j’aime bien quand vous m’interviewez ou quand je lis les comptes-rendus d’audience, mais ce n’est pas pour ça que je trime. Quant à en faire beaucoup plus, je ne le souhaite pas réellement : pour devenir un « ténor », il faut accepter d’y sacrifier sa vie. Et ça, non.
(*) L’interview ayant été réalisée avant le meurtre de la joggeuse marcquoise, nous avons recontacté Jean-Yves Moyart. Déjà condamné pour viol, le meurtrier présumé serait donc en récidive, ce qui suscite déjà des débats enflammés sur le net. Voici la réaction de l’avocat : “La loi veut qu’à mi-peine effective, on puisse obtenir, sous certaines garanties, sa libération conditionnelle, et que si la personne est assez maligne pour les présenter correctement (ces garanties) et gruger éventuellement ceux qui les vérifient, elle parviendra toujours à sortir et malheureusement, à recommencer. Ça s’appelle le facteur humain, et quand on prétend l’éradiquer totalement, quelles que soient les mesures prises, c’est très simple, c’est qu’on ment. On va nous resservir, comme pour la jeune femme malheureusement disparue dans des conditions proches il y a quelques mois, notamment le fait qu’il faudrait au moins supprimer les remises de peine, et que les détenus effectuent tout. Et on oubliera à nouveau (Bilger avait écrit en ce sens, par exemple) qu’il y aurait eu autant de joggueuses en forêt de Phalempin en 2015 qu’en 2010… Il y a, parmi les hommes, de rares personnes qui n’auront jamais un comportement normal, et parmi elles, quelques-unes, encore plus rares, que l’on n’arrive pas à détecter – et je ne connais aucune loi qui permette de supprimer totalement ce fait. J’avais ce matin dans mon bureau un mineur de quatorze ans, qui a soudain plaqué une fille inconnue contre un mur, et lui a imposé un viol digital. Aucun précédent, rien. Il reconnait et ne sait pas trop ce qui lui a pris. On fait quoi, et pour combien de temps ? Pour en revenir à cet homme, il est sorti après avoir rencontré de nombreux magistrats et médecins psychiatres : étaient-ils tous nuls et incompétents ou bien, particulièrement dans ce domaine des agressions sexuelles et viols, repensera-t-on enfin totalement un jour le système en son entier, pour le doter de structures permettant enfin d’éradiquer cette forme de violence ?”