Quelques articles relatifs à ce procès jugé par la Cour d’Assises de Paris sur trois semaines en octobre 2013.
Article publié dans l’Express le 8 octobre 2013
Procès Pallardy: “Tout ce dont on m’accuse, c’est impossible”
13 à 08:19

Pierre Pallardy, ex-ostéo du “tout-Paris”, est jugé depuis début octobre par la cour d’assises de Paris. Lundi, il était confronté à l’une des plaignantes, François C., qui l’accuse de viols et d’agressions sexuelles. Compte-rendu d’audience.
“Folle hystérique à ne jamais resoigner.” Cette mention est inscrite à la mi-janvier 2005 sur le carnet de prise de rendez-vous de Pierre Pallardy, ex-ostéopathe jugé depuis début octobre pour viols ou agressions sexuelles sur dix-huit anciennes patientes. En face de ces six mots cinglants, le nom d’une cliente: Françoise C. Cette femme de poigne, aujourd’hui âgée de 64 ans, s’est constituée partie civile au procès du praticien devant la cour d’assises de Paris.
Il y a plus de sept ans, gênée par un mal de dos persistant, affaiblie par un cancer du sein et une récidive, elle consulte le célèbre ostéopathe dont elle a lu les livres. A la barre, elle raconte comment Pierre Pallardy la gronde “comme une petite fille” – si elle l’avait consulté plus tôt, il aurait pu lui éviter ces problèmes. Avant de lui promettre la lune – une deuxième jeunesse.
Au troisième rendez-vous, après un massage douloureux du ventre, l’ostéopathe lui insère un doigt dans le vagin tout en donnant dans le “mon petit coeur”. Pour expliquer son absence de réaction, Françoise parle d’une “hypnose éveillée“. “J’étais vide de toute réaction physique et psychologique.”
“Un sentiment de peur”
De retour à son domicile, elle se rend compte de ce qui vient de se passer dans l’antre du cabinet de la rue Berlioz. Elle téléphone à Pallardy et demande des explications. Vaine démarche. L’ostéo, par un tour de passe-passe qu’elle peine aujourd’hui encore à expliquer, la convainc de revenir. Pourtant, elle le reconnaît à la barre, la méthode Pallardy n’a pas d’effet sur ses douleurs dorsales. Pourquoi s’entêter, alors? “J’ai continué pour me prouver que je ne me laisserai pas faire à nouveau.” Le praticien était également parvenu à installer “un sentiment de peur”: celle de retomber dans la maladie. “J’avais l’impression de n’être rien du tout et que grâce à lui j’allais remonter à la surface.” A la place, elle touche le fond.
Après une quatrième séance on ne peut plus professionnelle, la cinquième dérape. Selon Françoise, le praticien lui impose une pénétration digitale avant de se déshabiller et de tenter une “pénétration pévienne”. “Il aurait fallu que je porte plainte en sortant mais je me suis dit: ‘je suis un quidam, ce monsieur a une notoriété, c’est le pot de fer contre le pot de terre’. Ce n’était pas la peine de me faire plus de mal.” Grâce aux plaintes d’autres femmes, victimes du même “gourou”, le pot de terre choisi finalement de s’attaquer au pot de fer.
“C’est impossible”, estime Pallardy
Pierre Pallardy se souvient “très bien” de Mme C.. Mais il réfute “complètement” ses accusations. “C’est impossible”, dit-il. “Tout est possible, le sermonne la présidente de la cour. L’humain est capable du pire comme du meilleur”. Invité à s’exprimer sur les déclarations de la plaignante, l’accusé montre qu’il est capable du pire.
– Comment expliquer l’introduction d’un doigt dans le vagin de Mme C.?
– Lors d’un massage, les mains sont énormément sur le pubis. Je peux vous faire une démontration si vous voulez… (rires dans la salle). Lors d’une manipulation, on peut mettre un doigt sur le pubis.
– Mais pas dans le vagin !
– Non, jamais dans le vagin.
Après une suspension d’audience, l’avocat de la victime Me Jean-Yves Moyart revient à la charge.
– Mme C. parle de doigt dans le vagin et de sexe en érection…
– Vous verrez mon psychologue et mon médecin, vous aurez des surprises! Tout ce dont on m’accuse, c’est impossible.
Pierre Pallardy a livré, au premier jour de son procès, sa ligne de défense, témoignage de sa femme à l’appui. Il était, au moment des faits, impuissant à la suite d’un problème de prostate. Ce qui pourrait mettre en doute le sexe en érection décrit par Françoise, mais pas les pénétrations digitales, relève la présidente:
– Vous n’avez pas la maîtrise de vos doigts M. Pallardy?
– J’avais tout les droits en tant qu’ostéopathe-kinésithérapeute de le faire. Si je l’avais fait, il y aurait trois quart des plaintes en moins. Pourquoi je mentirais alors que mon diplôme autorise ces manipulations?
– Je retourne la question: pourquoi si ça n’a pas eu lieu, elle viendrait dire qu’elle a été pénétrée deux fois ?
– Mme C. a pris ces manœuvres qui sont à l’extérieur du bas ventre pour autre chose.
“Êtes-vous enfermé dans une vérité ou dites-vous la vérité?”
Françoise C. a-t-elle pu se méprendre ? “Entre un massage du ventre et une pénétration? Je ne suis plus une adolescente de 15 ans, je sais faire la différence”, lâche l’intéressée, sans équivoque.
Sentant son client s’enliser, son avocat reformule une question posée plus tôt par une partie civile. Le plus simplement du monde, pour appeler la réponse la plus claire possible. “Est-ce qu’après ces années d’effort et de succès, il n’y aurait pas eu un moment où vous avez pu déraper, interroge Me Témime. Êtes-vous enfermé dans une vérité ou dites-vous la vérité?”
Pallardy reprend la parole. “Si j’avais eu la moindre déviance envers une patiente, j’aurais arrêté. Je n’avais pas besoin matériellement de continuer, je vivais très bien de mes droits d’auteur. Si je l’ai fait c’est parce que j’étais passionné par l’humain.” Une passion destructrice, à en croire les dix-huit plaignantes.
Le scénario abject de l’ostéopathe Pallardy
Article paru dans Le Parisien le 8 octobre 2013
Françoise, 64 ans, a témoigné hier devant la cour d’assises de Paris de la manière dont l’accusé avait procédé pour la violer lors des «soins» qu’il lui prodiguait.
Françoise souffrait d’un mal de dos consécutif à un cancer du sein et à deux opérations. En 2004, après des rendez-vous « sans résultats » chez d’autres thérapeutes, elle décide de consulter le célèbre ostéopathe parisien Pierre Pallardy, qu’elle connaissait « par ses livres ou par les médias. » A la barre de la cour d’assises de Paris, qui juge depuis cinq jours l’ex-praticien de 72 ans pour les viols et agressions sexuelles de dix-neuf patientes, cette femme de 64 ans au ton posé raconte comment certaines des cinq séances ont « dérapé ». Dès la première, où un massage du ventre lui arrache « des larmes de douleur », elle ressort « perplexe et mal à l’aise » face à certains propos du praticien sur son épouse. « Il m’a dit qu’elle ne répondait pas à ses attentes. Qu’il n’avait pas l’intention de la quitter mais qu’on pourrait se faire du bien… »
A la deuxième séance, Pallardy lui fait enlever son soutien-gorge, lui promet « une seconde jeunesse », la tutoie et l’embrasse sur le front. A la troisième, les « gestes thérapeutiques » dont l’accusé ne cesse de défendre le bien-fondé, photos de ses best-sellers à l’appui, n’en sont clairement plus. « Ã?a a commencé par un massage du ventre. Puis il m’a demandé de replier les jambes, les genoux fléchis. Là, il m’a enlevé ma culotte et m’a fait une pénétration digitale. » Françoise se sent alors « scotchée » à la table d’examen. « J’avais le sentiment d’être en hypnose éveillée, sous emprise totale. J’étais abrutie par un flot de paroles. Heureusement, le téléphone a sonné. J’ai pu me dégager et me rhabiller. J’ai payé. Lui faisait comme s’il ne s’était rien passé. »
A son retour chez elle, dans le Nord, elle l’appelle, en colère, mais se laisse pourtant convaincre d’un quatrième rendez-vous où « il ne se passe rien bien sûr ». Pourquoi être revenue? lui demandent tour à tour la présidente de la cour et son avocat, Me Jean-Yves Moyart. « Il a utilisé la peur en disant que j’allais droit vers une récidive ou un autre cancer si je ne suivais pas ses conseils », explique-t-elle. Femme de caractère, Françoise, qui a « honte », veut aussi « se remettre en confiance ». Elle se rend donc à la cinquième séance, où elle subit « la même chose » qu’à la troisième, sauf que cette fois, Pallardy tente aussi de la pénétrer avec son sexe. « J’étais incapable du moindre mouvement, de résister, de crier. Je pleurais en disant non! C’est à ce moment-là qu’il a grimpé sur la table. » Là encore, un coup de fil interrompt le viol. « La providence », soupire Françoise, qui confie « être toujours en psychothérapie depuis. »
Sur son registre, Pierre Pallardy avait noté à son sujet : « Folle hystérique à ne jamais resoigner. » Face à cette accusatrice comme face à toutes les autres, qui décrivent pourtant un même scénario, il nie et clame son innocence. Pour lui, qui se vante d’être surnommé « le Saint-Bernard », ces patientes ont subi un choc dû aux manÅ?uvres sur leur ventre, l’« inconscient » de ce « deuxième cerveau » leur révélant brutalement un viol passé. En clair, « ces personnes un peu dérangées » ou « vexées » qu’il les ait « chassées » parce qu’elles n’étaient pas contentes de ses méthodes pionnières, se trompent d’agresseur.
«L’ostéopathe des stars» condamné à 10 ans de prison
Article paru dans Libération le 18 octobre 2013 – Par Ondine Millot

Pierre Pallardy était poursuivi pour 19 cas différents, dont sept viols. Il a été reconnu coupable de cinq viols et sept cas d’agressions sexuelles.
Dix ans de prison. Ce vendredi soir, la cour d’assises de Paris a condamné Pierre Pallardy, 72 ans, «l’ostéopathe des stars», comme on le surnommait, pour viols et agressions sexuelles. Et cet homme grand, droit, portant beau un costume impeccable, se vantant pendant trois semaines de procès avec aplomb d’avoir soigné Joseph Kessel, Pablo Picasso, César ou Marcel Dassault, a fait un malaise à l’énoncé du verdict.
Accusé de viol sur sept patientes et d’agressions sexuelles sur douze autres, et finalement reconnu coupable de cinq viols et sept agressions, Pierre Pallardy, auteur de plusieurs livres à succès, un temps très médiatisé (son best-seller le plus célèbre, Et si ça venait du ventre, s’est vendu à plus de 200 000 exemplaires), n’avait cessé de défendre au fil des audiences sa méthode «innovante» de «psychothérapie corporelle», semblant parfois hors de sujet par rapport aux récits de ses accusatrices («Il y a des patientes qui me prenaient pour Dieu, mais moi je ne supporte pas qu’on me prenne pour Dieu»).
Arguant d’une «mauvaise interprétation» par les parties civiles de ses manipulations «puissantes et dangereuses», il n’a cessé de répéter son innocence. Maladroitement, tout au long des audiences, avec, plusieurs fois, des formules au bord du lapsus («J’ai horreur de pénétrer mes patientes», «La loi de la République française me donne le droit de palper les seins autant que je veux»). Puis, beaucoup plus habilement, par la voix de son avocat, Hervé Témime. «Considérer que tout ce qui est dit par les plaignantes, même les contradictions, est forcément vrai, ce n’est pas juste», a martelé le ténor, attaquant un dossier où «il n’y a que des déclarations, on s’est contenté uniquement de déclarations».
Mais l’accumulation de ces récits – aux auditions des dix-neuf plaignantes se sont ajoutées celles de nombreuses autres patientes décrivant des faits identiques mais prescrits –, le fait qu’ils proviennent de femmes de tous âges, de tous milieux sociaux et de toutes provenances géographiques (Pierre Pallardy exerçait à la fois à l’île de Ré et dans le XVIème arrondissement parisien, et sa notoriété attirait une clientèle parfois venue de loin) ont visiblement emporté la conviction des jurés.
L’autre élément fort de l’accusation, comme l’a rappelé l’avocat général Annie Grenier, qui avait requis 12 ans de prison, est la forte ressemblance entre les différents témoignages de ces victimes qui ne se connaissaient pas. Toutes décrivent d’abord une phase qui mélange mise en confiance et déstabilisation : questions sur la sexualité de la patiente, compliments sur son physique, puis massage du ventre extrêmement douloureux. «Je ne suis pas douillette mais ça m’a arraché des larmes», dit Françoise, 55 ans à l’époque. Après ces manipulations «qui les font très souvent pleurer», admet Pierre Pallardy, le «thérapeute» a coutume de les prendre dans les bras, de les embrasser. «Rien de sexuel», selon lui, «des baisers sur la bouche» selon la plupart d’entre elles. L’étape suivante vient au premier, deuxième ou troisième rendez-vous, selon le degré de vulnérabilité de la patiente. «Il m’a enlevé ma culotte et m’a fait une pénétration digitale, dit Françoise. J’étais scotchée, l’impression de ne plus pouvoir bouger, d’être en hypnose totale, sonnée et abrutie par un flot de paroles qui ne me permettait pas d’être maître de mes mouvements. Ensuite il a sauté sur la table et tenté une pénétration pénienne.» Catherine, 37 ans aujourd’hui, 30 quand elle a consulté Pierre Pallardy en 2006, décrit le même «flot ininterrompu de paroles» qui la laissent dans un état second, soumise et hébétée. «Il m’a enlevé ma culotte, m’a imposé une pénétration digitale, puis s’est déshabillé, a tenté une pénétration pénienne.»
Catherine, comme Françoise, est pourtant «revenue» voir le docteur Pallardy, une ou deux fois avant de cesser tout contact – argument évidemment mis en avant par la défense. Et contré par les onze avocats de partie civile qui, lors de leurs plaidoiries, ont détaillé l’état de sidération dans lequel se trouvaient leurs clientes. «Pierre Pallardy ne broyait pas seulement les ventres. Il broyait aussi les âmes», analyse Me Jean-Yves Moyart, en évoquant les méthodes d’emprise du practicien. «La question de pourquoi elles reviennent, c’est la question de pourquoi on obéït à une autorité, détaille Me Laure Heinich. L’histoire nous apprend que les hommes obéissent à l’autorité sans la remettre en cause. C’est l’expérience de Milgram.» Me Louis Balling lui parle d’un état «de toute puissance» de l’ostéopathe face aux femmes qui s’allongent sur sa table de massage et d’un «narcissisme effroyable». «Je vous ai entendu dire : J’ai tous les droits, je fais ce que je veux avec les seins et avec les corps des femmes, plaide Karine Bourdié. Non, vous n’avez pas tous les droits monsieur Pallardy.»